Le petit livre des plaisirs -9
NAVIGUER
par Yann QUEFFELEC
Naviguer fait plaisir : naviguer fait peur, naviguer fait mal,
fait froid, faim, sommeil, etc.
Naviguer est un plaisir extrême, étrange,
indicible au commun des mortels agglutinés sur la plage.
Naviguer implique l'animal humain dans une osmose
avec la nature qui peut lui coûter la vie.
Au large on est en plein ciel, on fait partie du décor tournant des astres,
on a physiquement la sensation d'être au monde,
à bord d'une étoile neuve à sa première aube,
à son premier soleil - levant, couchant.
A cette échelle on est loin des pensées mesquines,
confronté à son moi le plus nu qui marmonne assurément :
je suis, je rêve donc je suis.
Au large on est lié corps et âme à cet oiseau phénoménal
qu'on appelle un voilier, tombe ou trésor.
Au large on a la mer pour compagne,
on vit dans sa plus stricte intimité.
Elle est fureur, terreur, elle n'est pas moins refuge
et berceuse après les attaques du vent.
Elle est sans limites, inépuisables,
mais lorsqu'on n'y croit plus elle arrive à bon port.
Elle est voyage à travers l'horizon, voyage à travers soi-même.
On en revient pas sans connaître un peu mieux l'homme,
celui que l'on devient à chaque instant.
La mer est belle, d'une beauté au-delà des mots.
Décidément la mer est un plaisir impossible à divulguer.